Marine Assoumov


















peintre et collagiste

Autour du Carré
Peintures acryliques de Marine Assoumov

Un univers plastique décliné en séries
Dans son cheminement par séries, Marine Assoumov ne pouvait faire l’économie du carré. Elle aborde aujourd’hui, avec ses moyens, sa manière, son univers plastique et son plaisir de peindre, cette vénérable icône à l’hérédité bien chargée.
Aussi équilibré soit-il, le format carré, figure géométrique à la fascinante perfection hiératique, a défié les peintres qui lui ont souvent préféré le rectangle et les variations qu’il autorise autour de la divine proportion du nombre d’or.

Assoumov, peintre du mouvement
Dans la série "Autour du carré", initiée en 2004, Marine Assoumov s’impose une double contrainte, le sujet -le carré-, et le format, également carré : mais quoi de plus éloigné dans cet exercice du "carré dans le carré" qu’une réminiscence de Malevitch ?
Peintre du mouvement et du désordre construit, comme l’illustrent de façon si vigoureuse les séries "Le rugby en corps à corps" ou "Les déconstructions", Marine Assoumov se remet une fois de plus en question en s’appuyant sur une forme statique, dénuée de sens de lecture, figure normée de l'immobilité, de la stabilisation achevée et de la matérialité confite dans une impassible perfection.

Les riches contraintes du carré
Comment le peintre, ligoté dans cette camisole, peut-il offrir au spectateur l’illusion d’une certaine dynamique, voire d’un débridement pictural ? Comment s’affranchir de l’exigence formelle d’un tel sujet quand seule la dimension du carré autorise des variations, conjuguées aux ressources de la composition et des rythmes colorés ? Mais la contrainte a souvent aiguillonné le créateur pour réaliser des œuvres maîtrisées, comme le prouvent les règles de la tragédie classique ou les exercices récréatifs de l’Oulipo.

Fluidités et transparences de l'acrylique
Marine Assoumov exploite ici les possibilités de l’acrylique dont la souplesse, la fluidité, la ductilité et la rapidité d’exécution viennent mettre à mal le hiératisme du carré.
Dans ses séries "Fragments d’atelier" ou "Paysages intérieurs", traitées à l’huile, l'artiste nous avait habitués à des toiles chargées de pâtes épaisses, riche en amas, concrétions, agrégats et agglomérats.
Dans cette nouvelle série, rien de tel, avec le choix de l’acrylique comme médium privilégié : les cicatrices dans la viscosité lente de l’huile font désormais place à la légèreté des transparences, aux voiles successifs, aux subtils recouvrements de couleur. La liberté, voire la fougue, avec laquelle la brosse vient balayer la surface de la toile, l’illusion de profondeur provoquée par les enchevêtrements d’aplats nous font percevoir un nouvel espace où le carré, parcouru des rythmes de ses multiples obliques, se dissout dans la couleur, le mouvement et la lumière.

Des carrés disparus ou transformés
On assiste à un véritable effondrement du carré : il semble, à l’étroit dans son cadre, se jouant du spectateur, perdre l’équilibre, vaciller et finalement se disloquer. Ailleurs, le carré s’enroule sur lui-même dans un mouvement en spirale, ou s’emboîte dans un autre carré, lui-même logé dans un troisième.
La construction s’appuie souvent sur des éléments géométriques, improbables débris de carrés sans doute disparus (triangles, trapèzes, rhombes, rectangles ou … carrés), imbriqués, superposés ou entrelacés, venant transfigurer l’espace, l’étrangler ou l’élargir à l’infini. Du carré en tant que sujet, simple prétexte pour l’artiste, il ne reste parfois rien, à l’exception de fragments ou de décombres si chers à Marine Assoumov …
Seuls quelques tableaux où le carré, plus présent, est incontestablement le sujet premier, gardent un caractère plus statique : mais de par leur réunion en triptyque, le rythme intérieur de chaque toile s’efface alors au profit d’un dialogue sur la cimaise.
La savante distribution des tons vient compléter l’équilibre de ces architectures de formes et dynamiser leur surface : couleurs sourdes (gris, bleu roi, carmin, ocres et bruns) ou plus sonores (vermillon ou jaune de chrome), diluées ou parfois liquides, mais toujours ancrées dans un registre bien éloigné de la palette vibrante à laquelle le peintre nous avait habitués dans ses dernières séries à l’huile.

La force du langage pictural
Par l’énergie du trait, la force du langage, cette série qui aurait pu s’intituler "Le carré dans tous ses états" nous frappe par la vigueur et la rapidité avec laquelle Marine Assoumov semble l’avoir brossée. Mais si le geste est nerveux et l’esquisse immédiate, contrairement à ses œuvres figuratives dont le sujet est si fort qu'il s'impose et impose sa composition, Marine retravaille ses toiles abstraites jour après jour, mois après mois, superposant des couches qui transforment le tableau de fond en comble, éprouvant plusieurs choix de composition par un jeu lancinant de retours en arrière. En réalité, comme en témoignent les dizaines de toiles en chantier dans l’atelier, parfois depuis plus d’un an, la peinture de Marine Assoumov est surtout le fruit d'une lente maturation et d’une cristallisation progressive des séries antérieures.
Pour le regardeur sensible, le fil conducteur de cette série n’est-il pas tout simplement son appartenance au monde de la peinture picturale qui ouvre au bonheur de voir ?

Thierry Blanchon, 2004