Marine Assoumov


















peintre et collagiste

Lettres Anonymes, collages "du lisible au visible"

Fascinée par la lettre et le signe, et par leur disponibilité à s’arracher au sens, Marine Assoumov construit une poésie visuelle qui lui est propre.

« J’ai toujours beaucoup aimé les histoires. Petite, je voulais être écrivain. Je me suis ensuite penchée sur l’univers de la bande dessinée et j’ai réalisé plusieurs albums. » Le collage est pour l’artiste une autre technique narrative.

Dans sa série Lettres anonymes, elle ne s’enferme pas dans un procédé figé et tend vers deux axes de recherche. Elle active et dramatise ses pièces par le collage « muet » où les fragments de papiers sont sélectionnés pour leur matière et leur couleur et le collage « parlant », une sélection de signes où elle associe des lettres qui créeront des mots, des expressions, des semblants de phrases. Par glissement, elle opère pour faire chavirer le sens. Elle sonde, du lisible au visible, autant les qualités formelles que sémantiques pour observer ce qui dépasse le sens dans le mot et le perceptible dans l’image. C’est la nature du support qui compte autant que le sens ou le contenu du message.

Pour créer sa surface, l'artiste découpe, déchire puis assemble, entrecroise et colle par superposition du papier journal, des publicités, des partitions de musique, des lettres manuscrites ou typographiées d’alphabets lointains, cyrilliques ou asiatiques, du papier peint, des fragments de gravures ou encore du papier qu’elle peint elle-même à la gouache. La couleur participe au relief. Certains collages tirent vers la planéité, d’autres vers un espace plus profond.

« J’aime donner un rythme à des éléments pris individuellement. C’est un processus long. Pour le spectateur, j’apprécie qu’il soit attiré au premier regard mais qu’il puisse faire l’effort d’entrer dans la composition pour la décrypter. La distance est importante mais je souhaite que l’œuvre soit aussi accessible à tous, que le plaisir du regardeur soit immédiat et brut face à la composition, la matière, la couleur. »

Assoumov démarre toujours un peu par hasard, selon son humeur du moment. Quelque chose se forme petit à petit, les contours d’une histoire, l’intuition d’un récit qui restera de toute façon dans l’énigme et qu’il faudra combler.

Elle oscille entre l’agencement, le cadrage et le hors-champs pour révéler ce qui est latent. Le vertige est babélien, polysémique, proliférant. Il s’en va coloniser l’étendue de la surface jusque dans ses derniers retranchements.

Les repères spatiaux sont déstabilisés et dévoilent un foisonnement sans hiérarchie. Une fausse symétrie est pourtant apparente. Elle libère de nouvelles perspectives et fait abstraction du centre en se focalisant sur tout le reste. L’œil perçoit dans un premier temps des fragments géométriques qui ne sont en réalité que des formes aléatoires. Ces systèmes de visualisation abstraits, éclatés font naître des apparitions qui entraînent ensuite des disparitions pour renaître et disparaître à nouveau. Il y a toujours à regarder dans les collages de Marine Assoumov. Mais tout est fait pour laisser le regardeur intervenir. Cette plongée sensorielle est guidée par le titre, une part essentielle de son travail ; à travers différents jeux de mots (c’est ment tique, Tressage pas sage, hypnotik, ank pas der) qui délivrent quelques indices de compréhension de l’œuvre tout en préservant un espace de liberté d’interprétation.

Au milieu des techniques, des contenants et contenus multiples dont elle se nourrit et avec lesquels elle cherche un juste équilibre, Marine Assoumov exprime avec subtilité son message singulier.

Caroline Canault, 2015